L'initiateur de la Confrérie des Fondus de l'Ubaye propose aux amateurs d'ascensions cyclistes de relever le défi sportif de cette longue randonnée à fort dénivelé tout en soutenant l'association « Vaincre la Mucoviscidose » à laquelle tous les bénéfices sur le montant des inscriptions sont versés. Une bien belle manière de lier effort personnel, et générosité pour ces malades qui n'ont pas la chance de pouvoir se dépenser ainsi physiquement. Ceux-ci doivent en effet lutter au quotidien pour un acte qui est si naturel pour les autres qu'ils n'y pensent même pas: tout simplement respirer. Alors, quand après avoir grimpé plusieurs cols, le participant commencera à s'essouffler et sentira la fatigue l'envahir, de penser aux difficultés des enfants atteints de mucoviscidose, l'aidera à trouver de nouvelles forces pour se surpasser.
Le programme complet de ce défi consiste à réaliser dans un délai de vingt-quatre heures au départ de Barcelonnette, l'ascension des sept cols ubayens dans l'ordre suivant: col de Pontis, col de Saint-Jean, col d'Allos, col de la Cayolle, col de Restefond jusqu'à la cime de la Bonnette, col de Vars et col de Larche, ce dernier étant cependant souvent interdit aux cyclistes il est le cas échéant remplacé par la montée à la station de Sainte-Anne-la-Condamine, ce qui représente un dénivelé positif total de 6930 mètres pour une distance de 336 km, et confère à l'impétrant le grade de ''grand maître'' dans la Confrérie des Fondus de l'Ubaye. Deux options plus courtes sont également proposées: la première qui supprime les deux dernières ascensions et se réduit donc à 5360 mètres de dénivelé sur 258 km pour l'accès au grade de ''maître'', la deuxième qui ne comporte que quatre ascensions (les trois premières et la cime de la Bonnette) soit 4200 mètres de dénivelé sur 206 km et permet juste de devenir ''membre'' de la confrérie. À noter aussi qu'il est possible, sans toutefois entrer dans la confrérie, de participer à cet événement et au financement de la lutte contre la mucoviscidose en s'inscrivant sur la seule montée de la Bonnette (plus haut sommet routier d'Europe), qui compte 1670 mètres de dénivelé sur 24 km pour un kilométrage total aller-retour de 66.
beauté des eaux turquoise du lac de Serre-Ponçon
Est-ce parce que beaucoup n'ont pas connaissance de ces diverses options et ont été effrayés par la perspective de se lancer sur un peu plus de 300 km avec près de 7000 mètres de dénivelé, que nous ne sommes que quatre-vingt inscrits à la sixième édition du D.F.U. en ce samedi 28 juin 2008 ? C'est donc un peloton peu important qui démarre à 5h35 du matin lorsque l'organisateur Claude Véran donne le signal du départ avec le lever du jour. Nous commençons alors par descendre toute la vallée de l'Ubaye, à bonne allure mais sans excès car il faudra tenir la distance. Le peloton initial s'est légèrement étiré et fractionné en deux mais l'ensemble est encore assez groupé. Pendant ce temps, le dynamique Claude Véran, qui est monté à bord d'un drôle d'engin dont je ne saurais dire le nom, prend de nombreux clichés des participants en train de parcourir leurs premiers kilomètres (peut-être pourrons-nous voir ces photos sur le site internet des Fondus de l'Ubaye).
Après cet échauffement nous entrons ensuite dans le vif du sujet de manière plutôt abrupte: le col de Pontis n'est ni élevé ni long mais ses pentes sont assez sévères, ce qui a pour effet immédiat de disperser très rapidement les cyclos (et c'est tant mieux compte tenu de l'étroitesse de la route dans la descente qui va suivre). Au sommet, deux bénévoles inscrivent les heures de passage sur nos cartes de pointage et sur leur feuille récapitulative listant nos numéros de plaques de guidon.
Quelques lacets plus bas se dévoile à nos yeux ébahis une superbe vue sur le magnifique lac de Serre-Ponçon aux eaux d'un beau turquoise de rêve, que nous continuerons d'apercevoir par intervalles presque tout au long de la route menant au col de Saint-Jean, dont l'ascension s'effectue sans peiner. Après pointage au sommet nous devons faire demi-tour et repasser par Barcelonnette avant d'attaquer la suite du programme. À ce moment-là, 100 km ont déjà été parcourus et le plus dur est à venir.
décor emblématique associé au col d'Allos
Nous abordons maintenant les vraies difficultés de cette randonnée au long-cours: les ascensions d'une vingtaine de kilomètres nous hissant à plus de 2000 mètres d'altitude. La troisième de la journée nous conduit ainsi au sommet du col d'Allos, d'autant plus lentement qu'à désormais dix heures passées les températures sont déjà très élevées.
pour boire frais sans gaspiller ma précieuse boisson énergétique devenue tiède,
je n'ai rien trouvé de mieux que de rafraîchir mon bidon dans cette fontaine bien froide
En plus, à l'exception de très rares passages, le tracé de la route n'offre aucune ombre pour nous préserver des trop chauds rayons du soleil. En revanche, les filets d'eau qui par endroits coulent sur la roche alentour sont à la limite du glacial et me procurent une merveilleuse sensation vivifiante lorsque je m'asperge abondamment avec pour lutter contre la chaleur qui m'accable. L'effet n'est hélas que de courte durée. J'ai alors tendance à multiplier les haltes dès que je vois un nouveau ruissellement à flanc de montagne, synonyme de cette fraîcheur désespérément recherchée.
sur les pentes du col d'Allos, certains montent encore tandis que d'autres redescendent déjà
Je m'arrête aussi de temps à autre pour prendre quelques clichés photo, car le décor somptueux qui nous entoure mérite réellement une capture d'image. C'est pourquoi il paraît dommage de prime abord, que l'itinéraire ne fasse pas une grande boucle qui nous permettrait d'admirer un maximum de paysages, mais enchaîne une succession de demi-tours au sommet de chaque col qui nous oblige à chaque fois à repasser au même endroit. Toutefois, la déception initiale que cela engendre, est vite compensée par la découverte d'un avantage assez séduisant de cette formule: quel que soit notre niveau et donc la distance qui nous sépare de ceux que nous n'avons pas pu suivre et de ceux qui pédalent plus doucement que nous, nous ne restons pas seuls car nous avons l'occasion presque tout au long de notre parcours de croiser d'autres participants, de nous adresser des signes mutuels lorsque nous nous reconnaissons au passage suivant, ce qui apporte un supplément de convivialité à cette sympathique randonnée.
superbes paysages de verdure dans le col d'Allos
Donc demi-tour au sommet, sans avoir oublié le pointage obligatoire, pour plonger dans la descente, d'autant plus appréciée que le déplacement d'air relatif atténue l'impression de chaleur. Cette chaleur devient d'ailleurs suffocante dès que la redescente est terminée et qu'il faut remonter en direction du col suivant: le très beau col de la Cayolle.
ayant coutume d'employer l'expression idiosyncrasique « il fait une chaleur de four »,
je pense que ce panneau est vraiment de circonstance en ce jour de canicule !
Il est alors 12h25 et mon altimètre affiche une température de 42°C, une véritable torture pour moi qui supporte très mal la chaleur et qui estime qu'il commence à faire trop chaud au-delà de 20°C. Je suis en outre sujet aux ''coups de soleil'' et je dois m'arrêter maintes fois pour remettre de la crème solaire indice 50 (anciennement appelée improprement ''écran total'') parce que je sens que je suis littéralement en train de brûler sous les cuisants rayons d'un soleil très ardent.
Mon supplice ''d'enfer'' est augmenté par la vision en contrebas de la route d'un torrent, dont le bruissement m'accompagne pendant toute la première partie de l'ascension dans les splendides gorges du Bachelard, et que j'imagine délicieusement frais. Comme si ça ne suffisait pas, malgré mes deux approvisionnements au ravitaillement d'Uvernet avant d'entamer les ascensions du col d'Allos et du col de la Cayolle, je me rends compte que je suis en hypoglycémie. Néanmoins je parviens au sommet où nous attend une surprise pour le moins étonnante: il nous est aussitôt demandé de montrer s'il nous reste du souffle en produisant un son avec une sorte de trompette. Perplexe, et franchement dubitatif car il paraît que ce n'est généralement pas évident, alors dans ces conditions ... je me prête cependant au jeu et réussis miraculeusement à faire parler l'instrument à la deuxième tentative.
Ensuite, redescente et nouveau passage à Barcelonnette où il est possible de se restaurer au Q.G. de l'organisation qui a tout prévu. Pourtant je ne mange qu'un peu de pain et de pain d'épices, craignant, si je me charge trop l'estomac, notamment avec le taboulé à la vinaigrette, d'être victime d'une handicapante torpeur post-prandiale, raison pour laquelle je préfère fractionner ma prise alimentaire et éviter les graisses. Il est déjà 16h environ et je redémarre dans un tempo plutôt lent, en revanche ma boisson est quant à elle consommée à la vitesse grand V tellement il fait soif. C'est pourquoi, au ravitaillement de Jausiers, situé 9 km plus loin et au pied de la route de la Bonnette, je reprends par précaution de l'eau dans ma poche d'hydratation afin de ne pas risquer de me retrouver à sec, ayant lu quelque part un avertissement au sujet de l'absence de fontaines dans ce col.
J'entame alors le plat de résistance de notre menu de grimpeur, la longue ascension à 7% de pente moyenne jusqu'à la cime de la Bonnette culminant à 2802 mètres d'altitude, et cela sans plus aucune énergie qui m'a abandonné, anéanti que je suis par une chaleur encore accablante et laminé par une hypoglycémie rebelle. La suite s'accomplira donc au courage et par la force de la volonté, non sans avoir toutefois révisé à la baisse mes ambitions initiales qui étaient de gravir « peut-être sept cols », pour devenir « seulement ce cinquième col, et je rentre! ».
Je progresse avec une lenteur désespérante: un cran en-dessous et mon vélo tomberait. J'en suis sûr: je n'avance désormais pas plus vite qu'à pied. D'ailleurs je le vérifie, en constatant que la ''vitesse'' affichée par mon compteur ne diminue pas lorsque je me mets à marcher sur quelques centaines de mètres, ce qui ne m'était jamais arrivé y compris dans la rampe à 13% montant au sommet du Puy de Dôme après cent soixante kilomètres à fond. Je mets en effet toujours un point d'honneur à gravir les cols à vélo en pédalant, mais là je suis complètement épuisé. Heureusement pour moi, le règlement des Fondus de l'Ubaye n'exige pas du cycliste qu'il accomplisse l'intégralité du parcours sur sa bicyclette mais tolère qu'il la pousse aussi, ouf je ne suis pas disqualifié !
Certains ne semblent pas en meilleur état que moi, la preuve: j'en vois un carrément allongé sur un muret, en train de piquer un roupillon, le visage abrité sous son casque posé dessus (non, par respect je ne l'ai pas photographié!). Il faut croire qu'il s'est ainsi régénéré car quelques kilomètres plus loin il me rattrape. Mes forces ont définitivement fondu au soleil, et bien que celui-ci ne soit plus au zénith, j'éprouve encore le besoin de refroidir régulièrement mon organisme surchauffé, avec l'eau glacée qui dévale de la montagne; peu importe qu'elle ne soit pas potable: je ne l'utilise que pour me mouiller les cheveux mais je décide de cesser cela à l'altitude de 2300 mètres, juste avant de passer devant les baraquements du camp militaire de Restefond, de peur de finir par attraper un rhume de cerveau, ce qui serait un comble!
la cime de la Bonnette là-haut n'est pas un col au sens géographique,
le col ici est celui de Restefond, situé peu en dessous à 2715 mètres d'altitude,
mais la route initiale a été rehaussée pour supplanter le col savoyard de l'Iseran culminant à 2770 m
Il m'aura fallu près de trois heures et demie pour arriver à bout de cette interminable ascension, mais ça y est je suis parvenu au plus haut sommet routier français et européen, alors que la luminosité commence à baisser et qu'enfin la chaleur de la journée s'est estompée. J'enfile donc un coupe-vent et je n'ai plus qu'à me laisser glisser dans la descente qui est rapidement achevée. Au cours de celle-ci, une des nombreuses marmottes vivant sur les pentes du col de Restefond a traversé la route quelques mètres seulement devant mes roues, ce qui montre qu'il faut constamment rester vigilant. Encore neuf kilomètres de plat et me voilà revenu à Barcelonnette, juste à la tombée de la nuit. La validation de ma carte de pointage me permettra d'être nommé ''maître'' dans la Confrérie des Fondus de l'Ubaye.
Mais dans l'immédiat, je ne décline pas l'offre de repas servi par des bénévoles toujours accueillants malgré l'heure tardive. Je vais ensuite me doucher et me coucher, tandis que pour toute l'équipe d'organisation du D.F.U. la journée n'est pas encore terminée: ils attendront le retour des derniers participants achevant leur périple dans la nuit, éclairés par les phares des véhicules des bénévoles des contrôles rentrant eux aussi au bercail.
Dimanche à 10h, a lieu la ''cérémonie'' d'intronisation des nouveaux membres dans la confrérie. Nous sommes d'abord informés que grâce à notre participation à ce défi deux mille cinq cent euro sont d'ores et déjà versés à l'association « Vaincre la Mucoviscidose », et qu'une fois établi le bilan financier de la manifestation le montant total du don devrait s'élever à quatre mille euro, grâce à la générosité des partenaires qui ont fourni les ravitaillements. Nous apprenons ensuite que la lutte contre cette terrible maladie génétique a beaucoup progressé: l'espérance de vie des malades qui n'était que de 7 ans en 1965 est ainsi passée à 42 ans actuellement. L'un d'eux est le héros du jour, ayant réalisé hier l'exploit de pédaler jusqu'au sommet de la Bonnette à l'arrière d'un tandem piloté par un cycliste du club organisateur. Enfin, chacun se voit remettre individuellement son diplôme numéroté lui ouvrant les portes de la confrérie des Fondus de l'Ubaye, puis une photo regroupant tous les lauréats est réalisée. L'ensemble se clôture par le verre de l'amitié et rendez-vous est donné le samedi 27 juin 2009 pour la septième édition.
Sachez qu'il existe une alternative pour ceux qui ne peuvent être à Barcelonnette ce jour-là: la randonnée permanente des Fondus de l'Ubaye qui permet d'effectuer le parcours à la date de son choix, mais sans les ravitaillements évidemment; il suffit pour cela d'écrire auparavant à Claude Véran afin de recevoir sa carte de route à poinçonner. Alors, prêts à relever le défi et à pédaler pour une noble cause ?